Naomi Klein
Actes Sud, 2015
Quand on lit le titre du dernier ouvrage particulièrement touffu de Naomi Klein, altermondialiste canadienne, on a tout de suite envie de le remplacer par « Tout doit changer ». Si le refus de se résigner au pire – une crise climatique – est une « question morale », il devrait être mué en obligation morale faisant intervenir notre conscience !
En vérité, trois crises se croisent et s’imbriquent les unes dans les autres : la climatique, l’économique et l’existentielle. La dernière nous imposant purement et simplement de « combattre le climatosceptique caché en nous ».
L’auteure a eu un déclic à l’écoute d’un témoignage sur le drame de la Bolivie (fonte des neiges et sa conséquence sur l’eau et l’irrigation du pays). Il l’a poussée vers un « sursaut citoyen » incarné dans le présent ouvrage aussi dense qu’altruiste.
Préparé en 5 années, celui-ci fait des aller-et-retour permanents entre la quête informative et le vécu individuel, ce qui lui donne une précieuse humanité. Un principe de base s’impose de bout en bout : changer notre perception de la terre comme « territoire susceptible d’être asservi », comme machine à exploiter à l’infini. La terre ne saurait être « esclave » de l’homme.
Au terme de cette lecture, il paraît impératif de « changer le changement climatique ». Il y va de notre survie, même si ce combat est « non équitable » pour des raisons évidentes : d’un côté, il y a des gens riches en droits mais pauvres en moyens ; de l’autre des gens riches en moyens mais pauvres en droits.
L’auteur n’y va pas de main morte quand elle fait l’état des lieux planétaire lequel confronte partout deux « solitudes » : celle du commerce et celle du climat. Oui le changement climatique remet en cause l’économie traditionnelle (des pays pauvres, dévastés et « rôtis par le soleil ». Oui, le « fondamentalisme marchand » du commerce participe au réchauffement planétaire (ex : les Etats – USA/Chine, Chine/Europe – contestent les programmes d’énergie renouvelable au nom du fait qu’ils sont une marque de protectionnisme !). Oui, il faut planifier pour « créer de l’emploi » (sans persévérer dans des industries polluantes) et savoir interdire (ex : les mines géantes). Oui, il faut en finir avec l’extractivisme. L’exemple emblématique de l’île de Nauru où la découverte de phosphate de chaux a dévasté le sous-sol, détruit l’économie et déstructuré les esprits et les corps (la montée de diabète est consécutive à la disparition des cultures maraîchères et l’instauration d’une nourriture au restaurant). Oui, il faut affronter les compagnies les plus riches de la planète dont le lobby des énergies fossiles exploitant nos réserves (pétrole, gaz, charbon), libère le carbone dans l’atmosphère et participant à l’embrasement du climat.
Quelles fausses solutions ? Naomi Klein invite à se méfier de la « pensée magique ». Oui, le rapprochement des grandes entreprises et des environnementalistes est « désastreux ». Oui, les « milliardaires écolos » ne sauveront pas le monde. Oui, la solution à la pollution (ex : atténuer le rayonnement solaire et les GES) n’est surtout pas dans une néo-pollution (ex : disperser des aérosols à base de soufre dans l’atmosphère).
Quelles vraies solutions ? Que faire ? La gravité de l’état de la planète a des conséquences économiques et sociales (sècheresse, famine, réfugiés écologiques de plus en plus nombreux) pour des millions de personnes. Il nous faut donc dépasser tout défaitisme et saisir l’opportunité unique – pour notre génération – de changer le système. Comment ? En récusant tant la domination capitaliste (BP, Exxon, Shell, Total dans les énergies fossiles…) que la politique extractiviste de tous les pays, parfois même de gauche (Bolivie, Vénézuela).
Facile à dire, mais ensuite… Force est de constater qu’il faut bien « commencer quelque part ». Un chapitre sur l’amour salvateur de la planète décline l’expérience de Bella Bella en Colombie Britannique (construction d’un oléoduc et les conséquences perçues par les chefs héréditaires heiltsuks sur les saumons, les dauphins les phoques). Il faut respecter les droits bafoués des peuples autochtones. Il y a l’attention à porter au ciel et à l’’atmosphère.
Il y a enfin le choix de « perpétuer la vie », de la régénérer. Ainsi l’expérience de maternité de Naomi a réactivé sa crainte d’une catastrophe écologique imminente. Comment transmettre de l’amour dans une telle situation de destruction ? Nous sommes désormais à « l’heure de vérité ». Il nous faut « réaliser l’impossible ». Des solutions émergent tantôt à l’échelon national (choix de transition énergétique en Allemagne), tantôt au niveau mondial (le mouvement de résistance Blocadie des nouveaux « guerriers du climat » mené contre les multinationales de l’énergie fossile). Qu’espérer sinon que cet impossible se mue en possible avant qu’il ne soit trop tard ?
Jane Hervé