Penser la nouvelle catastrophe écologique
Joëlle Zask
Premier Parallèle, 2019
Joëlle Zask, philosophe dont les précédents travaux portaient notamment sur les liens à renouer entre démocratie et écologie, s’empare d’un thème encore peu discuté : les mégafeux. Ces phénomènes catastrophiques se multiplient à une vitesse alarmante, et dans des proportions toujours plus désastreuses. Il était donc temps d’avoir le courage de les concevoir non plus comme des événements fatidiques, mais bien comme un sujet qui nous pousse à revoir « nos interactions avec ce qui constitue notre milieu, et à développer une approche intellectuelle et émotionnelle susceptible de mener à une action efficace sur le terrain ».
Grâce à un découpage en chapitres courts, l’autrice arrive à explorer l’ensemble des domaines concernés, affectés par les mégafeux : psychologie, biologie, histoire, politique… il s’agit bien, au travers de cette analyse, de repenser fondamentalement nos structures de pensée et d’actions. Comme on le lit de plus en plus souvent, il est urgent de se départir de la distinction entre nature et culture, et partant, de la confrontation entre le modèle de domination-exploitation-contrôle et celui du mythe d’une nature sauvage autonome qu’il ne faudrait pas pénétrer.
Joëlle Zask étaye son propos de faits observés dans des régions et des disciplines diverses. Mais tout l’intérêt de ce livre réside dans le fait qu’elle adopte, comme elle voudrait que chacun le fasse, « une démarche inter et transdisciplinaire qui mobilise non seulement géographes, botanistes, écologues climatologues et pédologues, mais aussi anthropologues, forestiers, pompiers, usagers, riverains, agriculteurs et éleveurs. » Elle fait tout d’abord le constat irréfutable d’un lien direct entre réchauffement climatique et augmentation de la fréquence et de la violence des mégafeux. Elle fait ensuite un procès sans appel au modèle de la monoculture extensive, plantations à la fois très inflammables et grandes consommatrices d’eau. Les politiques publiques ne sont pas en reste : en se concentrant sur la lutte contre le feu plutôt que sur sa prévention, des zones urbaines censées être hyper-développées et suréquipées ont été ravagées ces dernières années. L’approche de la dimension psychique des mégafeux est particulièrement fine : à travers ce qu’ils ravagent, les mégafeux nous informent d’une part sur l’importance des paysages, en tant que lieux de sédimentation des histoires qui font notre environnement social et personnel et d’autre part, ils sont une nouvelle forme potentielle de terrorisme non-négligeable.
Ce livre démontre qu’il est temps d’élargir et de complexifier notre perception des relations de cause à effet ; d’admettre que les mégafeux sont le résultat d’un enchevêtrement d’actions humaines et non-humaines, de motivations criminelles et de politiques institutionnelles (la distinction n’étant ici pas toujours valable…). Pour pouvoir découvrir des moyens de rétablir et de perpétuer les conditions qui rendent la pluralité des vies possible, pour limiter les catastrophes écologiques telles que les mégafeux, il est temps de penser un entre-deux, de se réapproprier des pratiques de soin et d’habitation. Joëlle Zask en appelle à la « culture du feu » : des savoir-faire d’entretien des milieux boisés (ramassage, coupes sélectives), un art de la maîtrise des flammes à des fins de culture vivrière (feux d’entretien), et finalement, l’intégration dans nos imaginaires de la possibilité de l’imprévisible, de ce qui nous dépasse, contre la surenchère technologique des sociétés de contrôle.
La figure du paysan (dont la disparition n’est pas sans lien avec l’irruption des mégafeux) illustre le propos : il n’obéit pas docilement à la nature, mais ne s’y oppose pas non plus, et il la transforme sans arrogance – il participe à la nature.
Quand la forêt brûle. Penser la nouvelle catastrophe écologique n’est pas un essai de botanique, non plus de journalisme politique. C’est une réflexion qui participe à la rénovation, que l’on se réjouit d’observer ici et là dans le paysage éditorial, des façons de penser les conditions de vie de l’espèce humaine, mais depuis une perspective tout à fait inédite.
Aux éditions Premier Parallèle.
C.T.