Wallace Stegner (traduit de l’américain par Anatole Pons)
Ed. Gallmeister, 2015
Il est imprévu qu’un auteur entame un périple épistolaire dans le monde sauvage par une missive à l’attention de sa mère défunte. Jadis incitatrice et encourageante, celle-ci a invité son fils Wallace Stegner à être lui-même ou du moins à « essayer ».
Qu’est-ce à dire ? Des histoires vont se bousculer sur sa « machine à écrire » porteuses d’odeurs, de couleurs, d’horizons, des habitants de cet ouest américain où il a « le plus vécu » : Montana, Dakota, Utah, mais aussi Saskatchewan canadien….
Vivre ainsi dans les grandes plaines désertes, exposé « au soleil et au vent de 4 h du matin à 9 heures du soir », engendre une double expérience : celle de mesurer sa petitesse en tant qu’individu et celle ignorer – en conséquence ? – tout problème d’identité. L’écrivain ne découvrira qu’ultérieurement ce qu’est « une adresse postale », avant de comprendre – encore plus tard – qu’il est « un américain de l’Ouest ». Que Stegner ait vécu dans le vent ou dans l’ombre,… il savait toujours qui il était et ce qu’il était à l’égal « d’une poule dans la cour » ! Au demeurant, le territoire alentour s’étend alors « sans jamais être nommé » : il n’a pas encore connu cette avalanche de noms attribués par les hommes et marquant notre histoire comme « la graine contient l’arbre ». Tout ici est lié et découle de l’immensité des distances : l’aurore « met presque une heure pour traverser le Texas ». Les soirées passées dans ces vastes espaces façonnent son « acuité sensorielle ».
Sa vie de gamin migrant lui fait néanmoins connaître une vie au jour le jour : le shampooing anti-poux au kérosène ou même les combats de bouses dans les enclos des ranchs ! L’auteur dévoile son attrait pour le jardin d’éden, où il a connu tous les animaux de la terre : coyotes, belettes, grues du Canada, putois à pieds noirs, lièvres à raquettes, serpents taupes, etc. ll fréquente aussi le « paradis aux chevaux », près du Grand Canyon en une extraordinaire chevauchée. Il aperçoit des vrais chevaux sauvages qui paissent sur des sentiers abrupts, tels « d’impossibles créatures de montagne ». Il y apprécie les « bienfaits du monde sauvage » (à l’exception des chiens abandonnés et attachés par les indiens havasupaï et des réduves aux piqûres purulentes !). Au fil des pages s’inscrit une interrogation sur le « bien-être » (et non le bonheur) : se trouve-t-il dans la prospérité, la santé, l’éducation ou dans une vie guidée par « de nombreuses générations de tradition » ?
Comme tout explorateur du « nature writing », Stegner conçoit la nature comme une réserve/banque du monde sauvage. Il manifeste légitimement une défiance écologique devant le monde contemporain, constatant les ravages des sols lors des recherches d’uranium avec bulldozer. Il pressent le danger de réduire les « étendues sauvages » ou de muer la faune à « des bêtes de zoo ». On pourrait lui répondre que la dévastation du monde est aujourd’hui largement commencée.
Pour reposer notre esprit, interrogeons-nous avec lui sur cet écureuil qui va du Vermont au Mississipi « sans toucher le sol », ou sur la puce d’écureuil qui prend le relais vers le Montana en chevauchant uniquement un… bison !
Jane Hervé