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Les irremplaçables

Cynthia Fleury

Gallimard, 2015

irremplacablesCynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, chercheuse au muséum d’histoire naturelle et membre du comité national d’éthique, membre du Samu et marraine d’ICCARRE (traitement intermittent du sida), est désormais titulaire de la première chaire de philosophie à l’Hôtel-Dieu. À la frontière de différents savoirs et actions, elle a une vision complexe de l’homo democraticus. Cernant celui-ci de diverses façons, elle écarte les cloisonnements de notre pensée rigide (rapports entre corps et esprit, connaissance et action, etc.). Croisement et chevauchement d’approches constituent la spécificité d’une pensée soucieuse de la notion de limite qui – peut-être pour cette raison – chemine à travers les « dé » (désusbtantiation, désubjectivation, déverbalisation et plus classiquement déconstruction). Est-ce pour se réconcilier avec elle-même ou avec sa propre érudition ? Son choix du questionnement montre sa quête plutôt que des réponses lapidaires sur le rapport individu-démocratie, privé-public… S’interroger sur la démocratie (à l’heure de la désaffection pour le politique et la vie publique) interpelle sur la nature et le rôle du citoyen lambda.

Qui est finalement le sujet ? Quelle est sa part de responsabilité ? Il n’est pas question d’individu (que nous estimerions volontiers remplaçable) mais d’individuation. Ce concept durkheimien marque un « processus sociologique qui ne commence nulle part, qui se développe sans s’arrêter tout au long de l’histoire ». La philosophe le développe selon une quadruple « figure » : connaissance de soi (d’un moi qui se mue en toi), imaginaire (distinct de l’imagination car il se veut connaissance de l’instant), douleur (celle de Socrate ou du Christ qui fait que l’homme ne se ment plus et accède au réel), et enfin comique (Le rire fait entrer l’esprit la ou la société n’en veut pas). Autant de marques d’une « expérience subjective », laquelle extrait l’homme « de la circulation aliénante du pouvoir » et révèle son « esprit d’aventure ». Nul doute à bien réfléchir : l’imaginaire peut inventer d’autres versions du pouvoir même en nombre limité, le rire peut inscrit les Guignols comme alternative au pouvoir, etc ! Une telle individuation permet l’existence de l’Etat de droit, celui qui gère nos affaires publiques, permet de le contester à partir de ses propres lois (démocratie) et de s’opposer ainsi à toute forme de despotisme/dictature. Vitalité démocratique exprimée de diverses façons : « La démocratie pour préserver sa qualité a besoin de l’engagement qualitatif de l’individu. Elle est le fruit de singularités préservées ». Il en découle le fait que « nous ne sommes pas remplaçables ». Que comprendre dans ce concept de remplaçable ? Se définit-il dans l’échangeable ? le substituable ? Qu’est la non-remplaçabilité ou l’irremplaçabilité ?

Pour articuler l’ensemble, le ruban de Moebius « entre la démocratie et l’individuation » lui permet d’assouplir les implications et interactions (sans les éclaircir pour l’instant). L’auteure ne propose pas de conclusion, mais invite à la double déconstruction du pouvoir (ex : mise à l’écart des commons dévalués au cours de l’histoire) et de la dette (ex : Madagascar où la France réclame à l’île une dette sur ses propres investissements (infrastructures diverses). Ce pouvoir dont elle formule l’hypothèse qu’il est la continuation du religieux sur un autre mode (promenade à travers Freud, Foucault, Lefort, Blanchot) ? Pouvoir du père (Freud) ou pouvoir-des-pairs (retour à la horde primitive). Cette pensée en gestation laisse encore le lecteur dubitatif car la richesse de pensées et de citations estompe parfois la démonstration.

Jane Hervé

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