L’anniversaire de l’âne Ecolo 1er
par Jane Hervé
Au 1 rue de Normandie, une limace dodue bougonnait : « Bzeuuuuuuuuuh » en traînant sa bosse éloquente autour des salades. Au 1 rue de Bretagne, un cloporte remuait du popotin et pérégrinait en rythme autour du tilleul : «Ttzink tzinck tzinck, tzinck ». Au 1 rue d’Auvergne, un ver de terre s’étirait et s’époumonait pour aérer la terre de bas en haut : « Pfouhoupfhoupfouuou ». Ces excellents citoyens vivaient au ras des pâquerettes de Chanteclou. Là régnaient – vingt ou cinquante centimètres plus haut – le loir cantonnier, la fouine aubergiste, le ragondin instituteur et le sanglier bedeau. Néanmoins, les ras-du-sol ne rataient aucun conseil municipal, aucune fête des pompiers et même aucun vote malgré la difficulté de se hisser jusqu’à l’urne.
Aux dernières élections, ils choisirent l’âne comme roi à l’unanimité à 99,999 %. Celui-ci avait extrait son slogan politique de la Genèse : « À toutes les bêtes sauvages, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui rampe sur la terre et qui est animé de vie, je donne pour toute nourriture la verdure des plantes ». Il prit le modeste titre d’Âne Ecolo 1er. Ce bourricot végétarien n’était pas comme les autres, mais conscient de la disparition de nombreuses espèces et du drame écologique menaçant la planète. Son originalité était appréciée des jeunes… Tout d’abord il n’ânonnait pas le traditionnel « Hi han », mais furetait gaiement dans les ruelles, moulins, lavoirs et prairies en lançant un « Han-hi, Han-hi, Han- hi » très rap (il insistait sur le « han » et estompait le « hi »). Ce novateur avait accroché trois piercings à ses oreilles et une boucle d’oreille au bout de la queue, aguichant toutes les jeunettes : brebis locales ou biches immigrées.
*
Un matin, le singe garde-champêtre tambourina : « Avis à la population. Notre roi âne Ecolo 1er fête demain l’anniversaire de son élection ». La joie civique fut totale, après cette année d’extravagance et de respect de tous les animaux de la terre. Jamais, au grand jamais, pareil roi n’avait régné dans le village, ni dans le canton environnant, ni même dans le monde. Dans son plantureux château-écurie, avec jardins publics et toilettes sèches, vivaient maintes espèces réunies en une invraisemblable arche de Noé. Aux couples traditionnels, s’ajoutaient des couples recomposés d’une chèvre et d’une perdrix rouge, d’un bœuf et d’une oie, d’un cheval et d’une limace, et même d’un ver de terre et d’un cloporte. Tous filaient le parfait amour avec parfois quelques difficultés de posture. Tous se rendirent à la fête de cet âne royalement démocrate.
« L’ âne-i-verse-l’air de l’âne, bégaya la limace du 1 rue d’Auvergne.
– L’anis- verse-le-R, bredouilla le cloporte en zigzagant du 1 rue de Bretagne.
– Le- nid- vers-la-serre », grommela le ver de terre à qui il manquait une dent et son adresse !
*
Voila qui ne plaisait guère à certains coquins diaboliques – quatre renards et cinq sangliers – qui, sans proie ni nourriture, se terraient désormais dans les bois pour fomenter un coup d’éclat. Comment supporter le plaisir végétarien qui avait envahi les lieux ? Le sanglier au ventre concave – qui assumait la charge de bedeau – rêvait d’un bon âne légitimiste, portant haut et vrai les valeurs de Louis XIV : noblesse, prestige et… repas faramineux. « Groin, groin, grouin », grommelait-il, entouré de sa bande de grincheux convaincus.
Chaque pas heureux de l’âne le rapprochait d’un gigantesque Saint-Honoré au chocolat Poulain. Plus il approchait entouré de sa cour, plus le sanglier incommodé – il détestait le chocolat – s’étouffait dans ses longues moustaches vikings. Le baudet prit la parole en enfonçant le doigt dans la crème : « Chers administrés, chers joyeux drilles, chers radieux habitants de notre si ensorcelant village… »
À cet instant, le sanglier-bedeau s’esquiva dans l’église et s’accrocha aux cordes du clocher. Les cloches Fadette et Henriette sonnèrent à toute volée, exactement comme dans le Patient anglais. « Dingue, dongue, dongue, dingue ». Il ne manquait que Juliette Binoche ! Le ventre du sanglier, accroché aux cordes, bondissait en rythme, facilitant la digestion des 350 lièvres et des 423 faisans ingurgités la veille dans son château privatif de Chanteclou. « Dingue, joyeux, dongue, village, dingue, radieux … ». On n’entendait plus désormais que les cloches fastueuses. Les braiements ahanesques étaient devenus inaudibles. Un vrai concert de… cloches !
« C’est ce qu’on appelle un coup de pied de l’âne ! », commenta le bourricot philosophe en secouant les bijoux de ses extrémités.
Faute de mieux, le roi Ecolo 1er mâchouilla la première part de Saint-Honoré, tout en laissant le bedeau carnivore et enthousiaste suer jusqu’à l’épuisement. À l’extinction des cloches, l’âne se tourna vers l’instituteur ragondin qui faisait office d’écrivain public :
« Eh, scribe Jean de La Fontaine du Lavoir de Chanteclou, ordonna-t-il, tu tiens là ta prochaine fable. Au turf ! »
C’est ainsi que Jean de La Fontaine du Lavoir de Chanteclou employa pour la première fois dans une fable le mot « écologie ». Nul doute. L’environnement serait sauvé par la fable.
Ce texte est sous la responsabilité de son auteur et peut contenir des contenus décalés, pas en lien direct avec la programmation du festival.
Toute reproduction de textes publiés est soumise à l’autorisation de l’auteur.