Marie Nimier
Gallimard, 2016
L’ouvrage La plage (dixit « la page ») est rédigé avec la grâce fluide et évanescente propre à Marie Nimier. Il dit l’histoire d’une « inconnue » qui revient – en bus – à la grotte où elle eut une relation d’amour avec un « voyageur », au fin fond d’une l’île. Un tel retour « l’attire ». Il engendre un périple au fond de souvenirs liés à son propre père plus qu’à l’amant disparu (qui semble un prétexte). Ce rapport filial est réintroduit subrepticement dans le récit, en faisant d’un autre père son amant.
La présence de la mer rend propice une telle aventure au fond de soi. Elle est une invitation au récit. Cette jeune femme « va » vers cet endroit où «l’eau n’a pas de fin », suscitant ses inquiétudes intimes. Elle s’y baigne nue, constatant que « le corps change de proportion » et que la mer lui sculpte « un nouveau corps ». Elle va au large, « au fond d’elle-même », craignant la noyade… De fait, elle aimerait retrouver son enfance et ce corps de petite fille ayant perdu ses seins « encombrants ». Elle a égaré ça ou là vêtements ou accessoire qui la représentent socialement : blouson, montre, etc… Elle n’est porteuse que d’une minerve et d’un « bob » appartenant au père. Après avoir sécurisé ce dernier sous une pierre, elle se baigne. Le lien filial reste puissant : son « torticolis » de fille fait écho aux « céphalées » de ce père (biologique) qui n’est pas venu la chercher à l’aéroport.
Cependant la grotte des souvenirs est « occupée » par un autre père et une autre fillette, un « colosse » et une blondinette dont elle n’est pas toujours sûre du lien de parenté. Elle observe ces intrus : un père et une fillette, sans savoir qu’elle est aussi observée. Le colosse se masturbe, la petite joue à la corde à sauter. Leurs comportements sont imprévus : la fillette écrase le crabe, le père lance une pierre sur une chèvre blessée et retardataire. Un jour, le corps de l’inconnue rencontre celui du colosse, mais la fillette rageuse les épie et se taillade la chevelure. Il faut conjurer la catastrophe prévue lors de son retour auprès d’une mère agressive (le subterfuge des poux est inventé). Le colosse s’esquive et confie la fillette à l’inconnue. Un lien insolite se noue entre elles – l’une adulte l’autre enfant – sans être maternel. La petite lèche la paroi de la grotte, l’adulte lui révèle une « constellation » des points de beauté répartis sur le corps. Un matin pourtant, l’inconnue s’éveille. La grotte est vide. Père et fille ont disparu avec leurs effets.
N’importe, la quête d’amour de l’inconnue perdure. Ainsi, elle observe au village un couple possible (« une reine de l’air et un roi des mouches »), tandis qu’elle lit le mot Love sur le jean du serveur. Tout un rêve de vie finalement et sans doute même… un besoin.
Jane Hervé