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La montagne de la dernière chance

André Bucher

Le mot et le reste, 2015

montagne derniere chanceLe titre de l’ouvrage, porteur de légende ou de rêve, m’intriguait. André Bucher est un auteur imprévu, dont l’écriture naît de ses activités successives de paysan, bûcheron, berger ou même de débardeur (alias docker !) et de pionnier du bio.

Le premier chapitre sait accueillir des « gerbes d’étoiles », « des étoiles assoiffées », des « fumerolles de brouillard », des nuages qui sont autant « d’enfants fuyards de l’espace vide », un « tressage de bras d’eau » d’où émerge un « héron neurasthénique ». Cependant un entrepreneur-repreneur saccage ce bel environnement de montagne en créant une « autoroute » et une retenue d’eau, en déversant la terre dans un trou-cratère ou en détournant l’eau des sources pour construire – est-ce certain ? – un centré aéré. Voila qui fera fuir les bêtes, poussera les espèces en danger vers la disparition. À ce moment, les ombres deviennent des « phalènes de géomètre » fluctuantes, les abîmes sont autant de « balafres », les empreintes des cerfs laissent leurs « cartes de visite » dans la neige, la lune devient « décatie » et le vent qui souffle transforme « les échines des pins en catapulte ».

En vérité, « les lieux ont des histoires à raconter ». Celle de cette ferme isolée, emprisonnée dans le paysage, en proie à un lacis de difficultés familiales et sociales. Le paysan, pris dans l’engrenage du défi climatique et des récoltes défaillantes, s’endette par divers emprunts auprès des banques. Son épouse perd la mémoire et son fils la liberté par son séjour en prison (il est le « fils du chagrin » ). Le patriarche doit vendre. À cet arrivant qui détruit le « canyon ». Ce drame humain et économique s’élabore sur le modèle du cheval remplacé par un tracteur, de l’ancien rattrapé par une modernité peu humaine. Seul le berger Tony dénonce les méfaits de la tronçonneuse, tire au fusil et met le feu aux engins de chantier. Le compagnon du fils-taulard, lui, trouve sa place à la ferme reconnu par la mère à la mémoire trompeuse !

Des expressions paysannes authentiques émaillent le récit (« la vache louche de la jambe »). Des comparaisons simples du ciel jonché d’étoiles à « une passoire tamisant les vers luisants ». Et ce constat d’une bouleversante profondeur : « Tout ce que j’ai perdu m’appartient ».

Jane Hervé

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