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La Jeune Epouse

Alessandro Baricco,

Gallimard, 2016

Lire le livre des livres n’arrive qu’une fois dans sa vie. C’est arrivé aujourd’hui. Alessandro Baricco, tout en rédigeant son hallucinante La jeune épouse, a écrit en même temps un livre sur sa façon d’écrire cet ouvrage, sur ses hésitations ou retours en arrière, sur les rebellions de ses héros, sur sa propre fatigue. Et enfin – le clou – sur la perte d’ordinateur dans un minivan, laquelle le contraint ni plus ni moins à écrire le livre dans sa tête ! Par bonheur, l’auteur nous livre néanmoins ce livre complet sur papier : un récit romancé imprégné de ses élans et caprices, avec une assurance si joyeuse qu’il est impossible de ne pas en faire écho, même en un contexte autre (le présent site où règne l’écologie) où il n’a strictement rien à voir (hormis l’économie de papier suggérée par le roman écrit sous un crâne !).

L’histoire n’est pas moins extravagante que la forme (le récit et les intrusions de l’auteur en son récit s’inscrivent dans la même continuité enveloppante). Tout y est insolite, imprévu, inattendu, sans que trop d’insolite ne tue ici l’insolite ! Il s’agit d’un mariage décidé entre deux pères de leur fils (Le Fils) et de leur fille (La Fille) lorsqu’elle aura 18 ans. Oui, mais le géniteur de la future s’esquive en Argentine. Quand la fiancée (dixit La Jeune Epouse) atteint l’âge adéquat au mariage, elle traverse l’océan et rejoint le Fils en Italie*. Or celui-ci a disparu pour étudier à l’étranger, mais se contente de lui adresser des cadeaux abracadabrants (pour la liste, consultez le présent ouvrage…).

Dès les premières pages, le lecteur est d’emblée plongé dans la future famille d’accueil de La jeune Epouse (c’est-à-dire la future mariée) restée en Italie. Et ce lors d’un petit déjeuner si grandiloquent qu’il n’a plus rien de petit. Qui est présent, qui déjeune ou sert? Modesto, sorte de majordome imperturbable et intouchable (donc à contourner pour ne pas frôler), qui note chaque jour de service depuis 59 ans. Le Père, souffrant d’insuffisance du cœur, qui embarque pourtant sa future belle-fille dans une maison close lors d’une visite en ville. La Mère, beauté initiatrice « ouvrant un rien les cuisses », pour que passe la main opportune sa future belle-fille. La Fille, à demi handicapée du côté gauche, mais qui poursuit grâce au droit des activités masturbatoires haletantes. L’Oncle qui roupille toute la journée, mais intervient opportunément dans la conversation et ne s’avère pas être oncle du tout.

Les consignes de vie des uns et des autres ne sont pas moins bizarroïdes (interdiction des livres, mais l’un d’eux se cache quelque part; peur de mourir la nuit, etc.). Toujours est-il que dans le dernier chapitre – ouf, le roman est sauf – le dit-Fils resurgit et retrouve La Jeune Epouse dans un b….l. On finit par s’étonner, dans cette créativité aussi bouillonnante que sexy-rigolo, de l’existence d’un dernier chapitre !

Notons que la traduction coulée de Vincent Raynaud, proche de la perfection, laisse même croire que l’ouvrage était originellement écrit en français.

Jane Hervé

*Rappelons que l’auteur est italien.

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