Gaspard d’Allens, Pierre Bonneau et Cécile Guillard
La Revue Dessinée, Le Seuil, 2020
La Revue Dessinée nous a habitués à de très bonnes enquêtes depuis sa naissance en 2013. Après 30 numéros, les sujets sont toujours aussi brûlants et intéressants. D’abord parue dans le numéro 27 en 2019, cette enquête reparaît en version longue sous la forme d’une bande dessinée avec annexes et documents. A l’instar des enquêtes Algues vertes : l’histoire interdite, l’enquête d’Inès Léraud, et de Sarkozy-Kadhafi : des billets et des bombes réalisée à plusieurs mains, celle-ci ne déroge pas à la règle en termes de lisibilité et de qualité d’enquête. Après de nombreux mois passés sur place, les deux journalistes maîtrisent le sujet. Et ce n’est pas parce qu’ils s’y sont engagés que les informations n’en sont pas moins fiables, comme le rappelle une note en préambule.
On découvre une enquête foisonnante et poussée sur le projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure : l’origine très controversée, la population malmenée, la démocratie bafouée et la contestation toujours très présente. Tout est minutieusement interrogé, les interviews retranscrites, les informations sourcées et prouvées, photos et documents à l’appui.
L’image et le texte sont bien équilibrés et se complètent, ce qui n’est pas toujours simple. Cécile Guillard maîtrise son crayon à merveille dans les mises en scène multiples. Son dessin, tout en courbe, est particulièrement fluide. Il souligne bien le propos et aide à une meilleure assimilation de la lecture.
Le récit est découpé en plusieurs chapitres qui se penchent chaque fois sur une thématique différente.
La fabrique du consentement
Les journalistes reviennent sur les principales étapes qui ont modifié la manière de travailler de la filière du nucléaire qui, pour sa survie, doit faire accepter un projet à une population qui n’en veut pas. Après plusieurs projets avortés dans d’autres départements, la Meuse est le parfait désert humain pour ne pas rencontrer de contradicteurs. L’argent coule à flots. Des nouveaux équipements publics sortent de terre mais sont sous-utilisés. L’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) emploie beaucoup de monde au point de se rendre incontournable dans le département. Les frais de lobbying et de communication de l’agence sont très élevés car la survie de la filière nucléaire en dépend.
Un legs empoisonné
Les risques d’un tel projet sont connus et nombreux. Les autres projets du genre, dans le monde, ont tous fait face à de gros problèmes tels que l’effondrement, l’infiltration, l’oubli ou encore la surchauffe. Bure n’est pas du tout à l’abri et le sol risque d’être pollué pour des siècles.
Résistance et sabotage
Le coin est peu habité mais la résistance s’organise depuis de nombreuses années pour faire abandonner le projet. La lutte rivalise d’originalité et se fait entendre par de nombreux moyens (sabotage, recours judiciaires, discussions, occupations, etc.), et ça marche. L’ANDRA a de plus en plus de mal à faire accepter le projet tel quel.
Un avenir en sursis
La résistance est si foisonnante que l’État enfreint des lois et déploie un arsenal policier sans commune mesure sur le sol français pour faire taire la contestation (écoutes, présence policière très forte, poursuites judiciaires, contrôles nombreux, interdictions de territoire distribuées, etc.). Mais la lutte n’a pas dit son dernier mot.
Un livre incontournable et très compréhensible sur ce qui se joue à Bure.
William
Lien vers le site de l’éditeur et de la revue