Bernard Minier
XO, 2019 ; Pocket, 2020
Auteur de nombreux thrillers, Minier entraîne son lecteur à travers Hong-Kong, ville bourdonnante où les affaires se poursuivent de jour comme de nuit. Voire, surtout de nuit. Hong-Kong, ses gratte-ciel, ses boutiques, hôtels et restaurants de luxe, ses taudis, son marché crasseux, sa misère. Une belle visite incluant quelques lieux typiques dont le commissariat, avec ses flics mi-corrompus, mi-intègres.
Minier nous fait aussi découvrir l’inquiétant empire Ming, LA firme spécialiste de l’intelligence artificielle.
Inquiétant car au fil des pages le lecteur se trouve confronté à des meurtres, tortures, suicides, accidents dont les victimes ont toutes été employées par Ming.
Inquiétant car nous sommes confrontés à la toile implacable sécrétée par les objets familiers connectés. La fin de l’intimité.
En suivant le quotidien d’une jeune Française venue y travailler, nous découvrons peu à peu le principal projet de la firme et quelques-unes de ses réalisations antérieures. Entre conflits familiaux et stratégies d’entreprise, les affrontements directs et indirects laissent entrevoir suffisamment pour se sentir pris de vertige ; les protagonistes se tiennent véritablement au bord de l’abîme.
Le plus terrible de ce récit est, à mes yeux, la relation que des hommes s’efforcent d’instaurer entre l’humain et la technologie : on y voit une humanité livrée à la surveillance permanente et aux prévisions, toutes deux sans faille, d’une intelligence artificielle et d’algorithmes. La majorité de la population dominée par la technologie ; elle-même n’étant que l’outil au service de l’insatiable appétit de pouvoir du président de Ming. Bernard Minier dépeint ici une façon d’en finir avec le vivant, en l’assujettissant sans moyen d’y échapper, à une norme qui le réduit au statut de ressource à disposition des puissants.
Ni les animaux ni la végétation n’y échappent car les robots sont plus fiables que les chiens, les drones plus performants que les oiseaux.
Comme dans tout thriller qui se respecte, il y a du danger, du suspens, des rebondissements, des surprises et tout se termine bien. Ou plus exactement : assez bien pour cette fois.
L’auteur nous offre un aperçu d’un monde où certains mots ont vocation à disparaître : liberté, libre arbitre, écosystème, écologie, nature, égalité, altruisme et d’autres encore. L’auteur nous offre un aperçu d’un monde qui ressemble un peu, beaucoup ou trop à celui dans lequel nous vivons.
Il y a dans ce roman un regard et une réflexion sur notre société digitale qui suscitent des questions. Des questions quelque peu dérangeantes ou anxiogènes, selon le lecteur.
Sauf, peut-être, si l’on a évité de lire l’avertissement de l’auteur.
Chantal