Wendy Delorme
Cambourakis, « Sorcières », 2021
“Il n’y a pas d’ailleurs, les frontières sont fermées. Il n’y a que l’ici, et le savoir-y-vivre à respecter, surtout pour qu’on nous laisse tranquille. […] L’ailleurs est dans les livres, pas dans ceux que l’on trouve au grand supermarché, mais dans ces anciens livres qui ne font plus l’objet du commerce officiel.” Ainsi commence le récit de Louise. Elle nous projette dans un monde où les frontières sont closes, où le réchauffement climatique bouscule le train de vie, où le pouvoir politique est scellé, et où la guerre avec les voisins et les mœurs et l’imaginaire contrôlés continuent.
Ce roman dystopique est choral, six personnages s’expriment l’un après l’autre pour raconter l’histoire de leur point de vue. Des parcours de vie contraints, souvent compliqués et violents et l’État qui force à survivre plus qu’à vivre. Il reste quelques interstices que nos personnages tentent de conserver pour se rencontrer, s’organiser, garder espoir et émanciper les corps.
Le fleuve marque la frontière et sur l’autre rive subsistent les vestiges d’une communauté de résistances uniquement composée de femmes dont les survivantes gardent de beaux souvenirs de sororité. Une référence revendiquée aux Guérillères de Monique Wittig dans le fond et la forme.
Les récits nous perdent parfois dans une histoire décousue qui se construit éléments par éléments pour donner lieu à un final splendide et galvanisant. Si le contexte de la dystopie est assez courant dans le genre de la science-fiction, la poésie, les références, et la verve de Wendy Delorme en font un roman singulier très plaisant à lire voire carrément exaltant. La proximité avec notre société actuelle qui emprunte de plus en plus à l’autoritarisme est manifeste. Ce roman fait du bien et donne envie de s’associer pour lutter tou.te.s ensemble et faire bloc : “Nous n’avons pas besoin d’idéologie parce que nous ne sommes pas un peuple. Nous voulons une citoyenneté totale définie par le partage des techniques, des fluides, des semences, de l’eau, des savoirs…” (citation de Paul B. Preciado).
Un roman fascinant et original dont je ne suis pas sorti indemne.
William