Lucrèce Andreae
Delcourt, 2020
Collection Encrages
L’actualité regorge d’informations, de drames en tout genre, de conflits, d’absurdités, de bêtises et bien d’autres choses qui prennent la tête pour peu qu’on cherche à comprendre ce qu’il en retourne réellement. Flipette / Clara a enfilé des œillères pour se protéger et préfère ne pas voir la réalité en face. Seulement, elle trouve de moins en moins de sens à sa vie et à son art, la photographie. Sa sœur, Vénère / Axelle, tergiverse beaucoup moins. Elle agit et n’a pas peur de faire front avec son corps pour se battre contre la misère et l’injustice. Les deux sœurs vivent dans deux mondes cloisonnés et ne se parlent plus jusqu’au jour où Vénère se casse la jambe et où Clara vient l’aider dans son quotidien.
L’accueil est hostile mais il faut bien remplacer Axelle dans tous ses engagements et Clara accepte d’ouvrir les yeux. De discussions houleuses en manifestations et de distribution alimentaire en animation d’ateliers sociaux, Clara découvre une réalité qu’elle avait sciemment ignorée. Les nombreuses disputent entre les deux sœurs témoignent le malaise et le trouble dans lequel leur génération évolue « entre résignation et espoir obstiné ».
Si cette bd ne parle pas (ou très peu) d’écologie, le rapport compliqué au monde contemporain et aux inégalités et surtout la question de l’engagement de la jeunesse fait que le parallèle est rapide et logique.
Une bande dessinée, géniale, qui désarçonne et questionne l’époque. Met le doigt là où ça fait mal et modifie nos certitudes. Les deux camps vont en apprendre de l’autre avec insultes, humour, douleurs, disputes, larmes et sourires.
Un superbe dialogue qui répond à cette question existentielle avec une grande simplicité :
- « Zéro confiance en l’être humain, c’est pas comme ça qu’ils vont changer le monde, tes potes !
- Qui a dit qu’ils voulaient changer le monde ? Le premier militant qui passe, il rigole à entendre ça. On n’est pas cons, on a compris depuis longtemps qu’on y changerait rien à ce monde de merde.
- Ben pourquoi s’embêter alors ?
- […] Parce que se positionner dans le camp qui lutte, le camp des pas d’accord, ça suffit. Même sans espérer la chute du système. « Résister, c’est vaincre » tu connais pas ? «
A méditer… Vous pourrez également disserter sur l’art contemporain, la politique, les bobos, le féminisme etc.
Le dessin est assez simple avec peu de décor. La mise en scène joue beaucoup sur les humeurs et les expressions et c’est un très beau rendu. On vit les engueulades avec elles. Les couleurs sont parfois désarçonnantes car un même personnage est parfois colorié de deux manières différentes dans des cases qui se suivent mais cela fait partie de esthétique voulue par l’autrice.
C’est la première bd de Lucrèce Andreae qui présentent ses deux personnages comme « ses deux facettes conflictuelles ». J’espère qu’il y en aura d’autres.
William
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