Isabelle Stengers
Dialogue avec Marin Schaffner, postface d’Émilie Hache
Wildproject, 2019
Marin Schaffner a rencontré Isabelle Stengers pour la rédaction de l’ouvrage collectif « Un sol commun » pour les 10 ans des éditions Wildproject. L’entretien fut plus long prévu et iels décidèrent d’en faire un livre entier sous la forme d’un dialogue qui se veut « à la fois un voyage, une promenade et une immersion dans la philosophie profondément écologique et radicale d’Isabelle Stengers ». Et c’est de fait tout cela à la fois. Le livre est dense et succinct. Il fait appel à de nombreuses notions très actuelles autour de l’écologie. Il « donne des pistes pour transformer l’action et dépasser nos enfermements. » Le ton est assez accessible pour un livre de philosophie et l’autrice prend le temps d’expliquer les concepts soulevés.
Isabelle Stengers fait remonter sa conscience écologique avec la lecture du livre « Trois écologies » de Félix Guattari en 1989 et depuis elle ne cesse de l’observer, la réfléchir et la commenter. Le slogan altermondialiste Un autre monde est possible est pour elle « comme si quelque chose s’était mis en route qui repeuplait l’imagination. […] c’est la nécessité d’hybrider les histoires de luttes sociales et les histoires de luttes contre le dévastation écologique. » L’imagination est le terme au centre de ce livre, il revient sous de nombreuses formes car la science a voulu enfermer le monde dans des « lois » mais avec l’écologie, ça ne marche pas. Rien ne fonctionne de manière séparée et tout est lié, ce qu’elle nomme (pour reprendre le terme de Donna Haraway), la sympoïèse ou la co-création permanente du vivant : « faire avec ou faire grâce aux autres ». Y compris avec les animaux et elle parle de Vinciane Despret : « Tout ce que nous savons des animaux, c’est grâce aux rapports que nous nous rendons capables d’entretenir avec eux. Et donc l’idée d’un animal pur, qui ferait l’objet d’une connaissance objective, est une mauvaise idée. »
Elle invite ensuite a suivre Donna Haraway dans sa notion « de rester avec ce qui est trouble », de ne pas exiger une solution « éradicatrice » à tout. Ce qui l’amène à dire « qu’une nature qui serait régie par les humains, c’est rêver sa destruction ». C’est pour ça qu’elle aime le slogan Nous sommes la nature qui se défend car il signifie (on y revient) que « les imaginations ont changé » et montre une sensibilité à « la lutte contre la dépendance généralisée qui tue nos mondes » Elle approuve le faire ensemble avec, parle d’écologie de la perception et utilise le terme reclaim pour « à la fois se réapproprier et guérir, se rendre à nouveau capables […] d’entretenir, de cultiver les interdépendances. » pour renouer avec « les milieux et les êtres qui l’habitent. »
Elle rappelle que les humains ne sont pas dans la nature mais de la nature comme tous les autres êtres et que « mêmes si nos projets sont purement humains, leurs effets ne le sont jamais. » ce qui l’amène à la conclusion « qu’il n’y a pas de morale écologique, rien ne mérite d’être détruit ».
Elle termine par une petite d’éloge à la Science-fiction qu’elle qualifie « d’espace d’expérience pour penser l’exploration des possibles dont nous sommes capables. » et « une capacité à résister à ce qui se présente comme normal. » car elle invite « à faire autrement ». Et pour conclure : « La science-fiction n’est pas en tant que telle un outil politique, mais elle fertilise le sol des possibles, ce dont la politique a besoin pour ne pas tourner en rond dans l’impuissance. »
William